Les prescriptions alimentaires dans les religions du livre

Des interdits et/ou des prescriptions alimentaires sont présents dans les trois grandes religions monothéistes (le judaïsme, le christianisme et l’islam), aussi appelées « religions du Livre », mais le végétarisme n’y est jamais clairement recommandé. Chacune base leurs préceptes sur des livres différents.


Le judaïsme, vieux de quarante siècles, est basé sur l’Ancien Testament ; ses lois sont extraites du livre de la Torah. Le christianisme s’est adapté de la religion juive en ajoutant le Nouveau Testament à l’Ancien Testament pour constituer la Bible. L’islamisme remonte au VIIe siècle et se réfère au Coran. Les règles alimentaires participent à la cohésion du groupe autour de celle-ci et permettent une prise de distance entre les différentes religions, une distinction entre les groupes de fidèles. Elles permettent aussi de réglementer la notion de plaisir, de l’encadrer, afin de détacher l’homme de son animalité, de matérialiser son besoin de spiritualité et d’élévation1. Les différents rites d’abattage que l’on décrit dans les paragraphes suivants ont pour but de rendre acceptable la mise à mort des animaux. En l’effectuant selon un rituel divin, le plus souvent sous la tutelle d’un représentant de Dieu, le meurtre alimentaire est légitimé d’une autorisation divine, déresponsabilisant ainsi le mangeur de la mort de l’animal.


Le judaïsme

Le judaïsme est la plus vieille des religions monothéistes et où les contraintes alimentaires sont les plus complexes. Pour cette raison, certains juifs adoptent le végétarisme, soit comme modèle alimentaire permanent, soit par intermittence lors des repas pris à l'extérieur2. La cacherout est l’ensemble des règles régissant l’alimentation juive3 : elle interdit de « cuire le chevreau dans le lait de sa mère », c'est-à-dire d’effectuer des mélanges de lait et de viande, même sous la forme de beurre ou de fromage. C’est à ce titre que les cuisines juives comportent plusieurs jeux de vaisselle, pour ne pas effectuer de mélange lait/viande. La consommation de sang est également interdite, d’où la nécessité de procéder à un abattage ritualisé, la ché’hita, qui doit être pratiqué par un rabbin : l’animal doit être vidé de son sang en étant saigné lors de l’abattage. Des institutions certificatrices proposent des produits labellisés casher, comme l'Orthodoxe Union qui certifie des fromages casher4. Les produits végétariens de l’agro-alimentaire peuvent aussi répondre à la demande de produits casher.

Brueghel, "Le Jardin d’Eden", Musée Thyssen
Brueghel, "Le Jardin d’Eden", Musée Thyssen

Il est également interdit de consommer des animaux impurs : seuls les mammifères ruminants aux sabots fendus comme le bœuf, le mouton, la chèvre et certains gibiers peuvent être consommés. Le porc, qui ne répond pas à ces attributs physiques, est banni de la consommation, tout comme le cheval. Les poissons casher sont ceux possédant des écailles et des nageoires, ce qui exclu les crustacés et les fruits de mer. Ces interdits alimentaires reposent tous sur une classification taxonomique, sur un système classificatoire des animaux en fonction de caractéristiques physiques. Par une approche structuraliste, Mary Douglas a démontré que ces interdits culturels s’expliquent par le fait que les animaux interdits à la consommation alimentaire ne rentrent pas dans un système classificatoire. Claude Lévi-Strauss, dans la Pensée sauvage, démontre que les hommes appréhendent leur environnement en mettant en ordre le monde auquel ils appartiennent, via un système de classification, de distinction entre les espèces. L’environnement une fois rapporté ainsi aux expériences sensibles (au signifié), les hommes peuvent gérer les rapports qu’ils établissent entre eux et avec la nature5. Les aliments prohibés par le judaïsme sont ceux qui ne rentrent pas le système de classifications physiques observé ; ce sont des « abominations », des anomalies taxonomiques, alors considérées comme impures, taboues, souillées, impropres à la consommation6.


Le christianisme

Léonard De Vinci, "La Cène"
Léonard De Vinci, "La Cène"

Les interdits alimentaires chez les chrétiens sont quasi inexistants. Le christianisme s’est différencié du judaïsme en abolissant les interdits alimentaires. Ainsi « un chrétien peu se sentir chrétien en tout lieu : il s’adapte à n’importe quel mode d’alimentation parce qu’il refuse le concept de souillure matérielle7 ». Cette absence de contraintes alimentaires serait une explication de l’expansion et du développement du christianisme dans le monde. La morale catholique a également permis le développement de l'esprit gastronomique en France car la possibilité de se confesser absout les remords ou regrets liés à la consommation alimentaire8. En se sacrifiant pour laver tous les péchés des hommes, le Christ, « l’agneau de Dieu », innocente les hommes de la culpabilité du meurtre alimentaire. Le rite eucharistique, le partage du pain et du vin, de la chair et du sang, « commémore cet ultime sacrifice et rend inutile tout autre forme de sacrifice9 ».


Il existait également quelques interdits alimentaires au sein du christianisme, tels que l’interdiction de consommer du cheval, d’après le décret du pape Grégoire III au XVIIe siècle, considéré comme de la nourriture païenne car consommée par les germains. Les chrétiens doivent également faire état d’abstinence de viande les jours de carême et le vendredi. Traditionnellement, on propose parfois à ce titre du poisson le vendredi en France, dans la restauration collective notamment. Cette obligation date du moyen-âge et provient du vœu de charité des chrétiens envers les pauvres. Le poisson coutant moins cher que la viande, les chrétiens devaient acheter cet aliment et donner l’argent économisé aux pauvres10.

Gustave Doré, "Le déluge"
Gustave Doré, "Le déluge"

Néanmoins, une expression du végétarisme est présente chez les esséniens, communauté du Ie siècle, considérés par des partisans du végétarisme, ceux de la Fondation Soleil notamment, comme les premiers chrétiens, comme un peuple de « sages à la recherche d’un idéal de pureté […] [qui] représentent l’image d’un christianisme "originel" et "pur"11 ». Dans la mythologie chrétienne, le paradis est décrit comme végétarien par certains partisans de ce régime alimentaire. Ils s’appuient du premier chapitre de la Genèse où il est écrit : « Voici que je vous ai donné toute herbe émettant semence, qui se trouve sur la surface de toute la terre et tout arbre qui a en lui fruit d’arbre, qui émet semence : ce sera votre nourriture ». Pourtant, au chapitre IX du même livre est écrit que : « Tout ce qui remue et qui vit vous servira de nourriture comme l’herbe verte : je vous ai donnée tout cela […]. Seulement vous ne mangerez point la chair avec son âme, c’est-à-dire avec son sang ». Jean Soler explique cette contradiction par l’avènement du Déluge qui a instauré une nouvelle ère dans laquelle Dieu prend « acte de l’instinct du mal qui est en l’homme » : ce dernier peut alors manger de la viande, à condition de ne pas consommer le sang, véhicule de l’âme qui représente le principe vital réservé à Dieu12. On peut retrouver cette conception chez les juifs également, la Genèse étant le premier livre de la Torah.


Certaines sectes issues du christianisme suivent des règles alimentaires plus strictes. C’est le cas des adventistes du septième jour qui suivent un régime ovo-lacto-végétarien, s’abstiennent de fumer et de consommer des aliments contenant de la théine, de la caféine ou de l'alcool. Les mormons quant à eux ne consomment pas de sang, s'abstiennent de fumer et de consommer des aliments excitants. Les témoins de Jéhovah n'observent pas d’interdits sur la consommation d’animaux et boivent du vin, mais ils interdisent de fumer ou d’utiliser du sang sous forme alimentaire ou de transfusion sanguine.


L'Islam

La conduite des musulmans est dictée dans le Coran, texte de référence d’où sont extraites les lois alimentaires. Les aliments licites, autorisés à la consommation sont halal, tandis que les aliments interdits à la consommation sont haram. Les principaux interdits alimentaires portent sur la nourriture d’origine animale. Ils concernent les animaux morts autrement que par un abattage codifié, sur la viande de porc et sur le sang. Les aliments non consommables ne sont pas définis par des règles physiques comme chez les juifs mais par la façon dont ils sont morts. Seuls les animaux abattus selon un rituel défini, la dhabiha, sont halal : « la bête doit être consciente au moment de l'abattage (il semble que certains mouvements acceptent l'étourdissement, sujet polémique en ce moment surtout en France et en Europe). La bête doit être placée en direction de La Mecque. Au moment de l'égorger, le sacrificateur, qui doit être musulman, doit prononcer « bismillah », ce qui signifie « Au nom de Dieu ». On laisse ensuite le corps se vider de son sang jusqu'à la mort de l'animal13. » Cet abattage traditionnel, tout comme la ché’hita juive, est dénoncé par de nombreux militants de la protection animale car l’animal n’est pas anesthésié lors de la saignée et met plusieurs secondes avant de mourir ; une campagne d’information a été lancée fin 2010 par plusieurs associations de défense des animaux14. La mise à mort en présence et sous le contrôle d’un représentant de Dieu permet de légitimer la mise à mort et de dégager la responsabilité du mangeur, du moins de la rendre acceptable15.

De plus, le porc est interdit à toute consommation humaine. La compréhension de cette interdiction fut expliquée par le danger potentiel d’être parasité par la trichinose en consommant une viande pas assez cuite16, ou par le côté « sale » du porc qui se roule dans la boue et mange des déchets. La conception anthropologique du matérialisme culturel incarnée par Marvin Harris explique cet interdit par le fait que le porc n’était pas « rentable » à produire dans le désert. Le porc aurait alors été interdit car sa production était devenue trop couteuse et difficile dans un environnement non favorable. Son analyse repose sur des termes de coûts et de bénéfices : un aliment sera bon à manger si sa production présente des avantages écologiques. 

 


 1 Gérard Unger (1996), « Les rituels alimentaires des principales religions : traditions et enjeux », in Michel Gervais et al., Les interdits alimentaires, Les Cahiers de l'OCHA, Paris, 77 p.

 2 Laurence Faure (2010), « Sens et enjeux d'un interdit alimentaire dans le judaïsme », Anthropology of food, [en ligne], [réf. du 07/12/2010], disponible sur : <http://aof.revues.org/index6548.html>.

 3 Muriel Attia (1985), La cuisine kasher française ou la nouvelle cuisine de la mère juive, Jacques Grancher, Paris, 126 p.

 4 Sophie Nizard (2007), « Tu ne cuiras pas le chevreau dans le lait de sa mère », in Jean-Pierre Poulain et al., L'homme, le mangeur, l'animal : qui nourrit l'autre ?, Les Cahiers de l'Ocha, n°12, Paris, p. 119.

 5 Pierre Bonte (2007), « Vivant ou mort, l’animal est bon à penser », in Jean-Pierre Poulain et al., L'homme, le mangeur, l'animal : qui nourrit l'autre ?, Les Cahiers de l'Ocha, n°12, Paris, p. 132-133.

 6 Claude Fischler (1990), L'homnivore : le goût, la cuisine et le corps, Odile Jacob, Paris, pp. 43-45.

 7 Lucetta Scaraffia (1995), « Au commencement était le Verbe », in Sophie Bessis et al., Mille et une bouches : cuisines et identités culturelles, Autrement, Paris, 182 p.

 8 Jean-Pierre Poulain (2002), Sociologies de l'alimentation : les mangeurs et l'espace social alimentaire, PUF, Paris, pp. 212-217.

 9 Jean-Pierre Poulain (2003), « Ces aliments bannis ou mal aimés », Dossier : Manger, une pratique culturelle, Sciences Humaines, février 2003, n°135 pp. 39-40.

 10 Jacques Vernay (1996), « Les rituels alimentaires des principales religions », in Michel Gervais et al., Les interdits alimentaires, Les Cahiers de l'OCHA, Paris, 77 p.

 11 Laurence Ossipow (1997), La cuisine du corps et de l'âme : approche ethnologique du végétarisme, du crudivorisme et de la macrobiotique en Suisse, Maison des Sciences de l'Homme, Paris, 334 p. 44.

 12 Ibid. p. 44-45.

 13 Portail-religion.com, « Halal et haram », [en ligne], [réf. du 07/12/2010], disponible sur :

< http://www.portail-religion.com/islam/halal-et-haram.html >

 14 Campagne nationale d’information des consommateurs citoyens sur la réalité des pratiques d’abattage des animaux (2011), [en ligne], [réf. du 18/04/2011], disponible sur : < http://www.abattagerituel.com >.

 15 Jean-Pierre Poulain (2007), « Penser et manger la chair », in Jean-Pierre Poulain et al., L'homme, le mangeur, l'animal : qui nourrit l'autre ?, Les Cahiers de l'Ocha, n°12, Paris, p. 315.

 16 Claude Fischler (1990), L'homnivore : le goût, la cuisine et le corps, Odile Jacob, Paris, pp. 41-43.

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0